Elle s’est réveillée brusquement au cœur de la nuit. Il devait être dans les 4 heures du mat. Dans sa tête, une déflagration, quelqu’un a tiré. C’était quoi un revolver, un fusil, elle sait pas. Un coup de feu c’est sûr. La saison de la chasse est ouverte ? Merde c’est quoi ce bordel ? Un braquage ? Une émeute ? La guerre…l’Ukraine…Gaza ? Un attentat ?
En sueur, elle panique, désorientée elle ne parvient pas à retrouver son souffle. Ça lui prend un bon moment avant de se ressaisir, de reprendre conscience complétement, avant de retrouver sa lucidité : qui elle est, où ? Quelle est sa vie, son âge.
Elle sent un regard braqué sur elle, il y a quelqu’un dans la chambre qui l’observe. Elle sent sa présence. Sa bouche est sèche, une peur panique s’empare d’elle. Elle se redresse…
Dans la pénombre, son chat. L’animal la fixe, planqué sous le bureau, effrayé sans doute lui aussi par le coup de feu. Les lampadaires réverbèrent dans ses pupilles. Ça lui fout les jetons, son chat extra-terrestre ne bouge pas, se contente de la fixer des yeux.
Elle secoue la tête, c’est un cauchemar, ça continue de siffler dans son crâne. Elle souffle, s’exaspère, sans doute ses satanés acouphènes. Un jour elle va dévisser c’est sûr. Elle se débat et tente de reprendre le contrôle. Focaliser son attention sur quelque chose, sur quelqu’un. Les ronflements de son mari non plus agaçants deviennent rassurants, métronome de son existence normale. Pour le moment tout va bien.
Décidément non ça va pas du tout, ça déconne grave, elle déconne grave. Ses mains, ses pieds ne lui répondent plus, des fourmillements lui envoient comme des décharges électriques. Elle s’agite, secoue frénétiquement ses membres engourdis. Son mari dort toujours profondément.
Une colère sourde palpite en elle d’abord doucement, puis frénétiquement. Le rythme de son cœur s’accélère. Se concentrer, respirer, compter,1, 2, 3, 4, 5…1, 2, 3, 4, 5…Putain ça marche pas. Les battements se mélangent aux sifflements dans les oreilles. Est-elle en train de devenir complétement folle. Le moment tant redouté est-il en train d’arriver ? Si elle calme pas ce bordel au plus vite, elle sait la suite. Les extrasystoles vont reprendre, et là c’est le retour de l’enfer. Entendre son cœur hurler à contre-temps, à longueur de journée, résonner tout le temps dans les tympans. Elle ne sent plus capable de subir ça…
Trop tard, il est trop tard, elle le sait, elle vient de franchir le Rubicon. Plus rien ne sera jamais plus comme avant. Une demi-vie à retenir la chose, mais c’est foutu, elle ne le peut plus. La chose va vivre, ce n’est plus le sujet. Elle va s’éclipser lui laisser la place. De cette guerre intérieure, elle est plus que lasse.
Elle se glisse hors du lit, sans faire de bruit, ne pas réveiller l’endormi. Assassiner les rêves, ni elle, ni la chose ne seraient capables d’un truc pareil. Jamais, elle ne tuerait le sommeil. Tout massacrer, tout brûler, mais sauver les rêves siempre.
Son chat miaule, réclame sa ration de croquettes. Plus rien ne sera jamais comme avant. Ses gémissements ne l’attendrissent plus « casse-toi ! Tu me fais pitié à tout le temps chiâler après ta pâtée, comme un crevard. Rien ne t’oblige à imiter tes maîtres, tu sais ! T’en as pas marre de draguer pour bouffer la sombre merde laissée par tes geôliers. T’as pas de face à toujours ouvrir ta gueule pour quémander les restes de gros porcs qui ont trop bouffé. T’es rien tout juste un pantin, distributeur de câlins aux humains, ces crevards des sentiments à la demande, vides en dedans tellement ».
Elle balance avec dédain, une poignée de croquettes comme des graines à des poulets « petit, petit, viens te baffrer minou, minou… ». Le pauvre matou ronronne de reconnaissance à s’en étouffer. Quel sombre con ! Il sert à rien, tout juste un paillasson à essuyer les bottes crottées.
Elle s’installe au bureau dans le salon, après s’être fait couler un café corsé, comme l’histoire qui est en train de se jouer.
Elle commence à dresser la liste sur les cartons d’invitation des cons vive la mariée, et les recalés de la fête Recyclés pour l’occasion, son côté développement durable lui sera fatal. Fallait-pas la faire chier l’ex fiancée, à quelques jours du plus beau !
Pas besoin de se triturer les méninges bien longtemps, elle sait exactement qui, elle sait exactement quand.
– En priorité le concessionnaire, c’t’enfoiré elle va se le faire, fallait pas lui faire à l’envers. La bagnole lui a claqué dans les doigts, à peine 6 mois après achat. La bonne affaire l’a lâchée en pleine descente. Cette fois, elle a vraiment eu les foies. Elle a bien cru y passer, heureusement les routiers sont sympas.
L’autre guignole, il vendrait sa mère si elle avait encore la cote. Et maintenant, i’ croit vraiment qu’elle va le sucer pour un geste amical, une ristourne commerciale. A combien il l’évalue la turlutte ? 10 – 14 000 balles et une petit supplément pour le doigts dans son trou 2 balles ? Arrête tes salamalecs, pauv’ mec.
Qu’est-ce qu’il croit ce zonard, qu’elle fait le trottoir, le tapin pour du menu fretin. Elle c’est une Escort, mon pote, pas comme ta fiat, tafiote. Va falloir qu’il fournisse un effort le croque-mort. Sans compter que çà pourrait p’tet lui faire mal à son petit cœur, si maman venait à être au courant du petit arrangement.
– Tout de suite après sur la liste, viennent les gouailleurs à la petite semaine. Les persiffleurs sont faciles à repérer, vous aussi vous les connaissez, ils vivent près de la machine à café. Vous voyez, hein ? Maintenant écoutez les !
« moi ça m’aurait fait chier d’avoir que des garçons, quand je vois le bonheur avec mes filles…Oh pardon Myrtille, j’y pense maintenant, toi c’est des petits mecs, tes rejetons. Mais que je suis con. Entre nous, tu t’en tires pas si mal, ne pas en avoir du tout, ça ça m’aurait été fatal. Comment vivre sans enfants, c’est un truc qui me dépasse…Comment font ces gens ? Je sais la nature a ses raisons, y’a des cas où c’est sans doute mieux comme ça ! Hein les collègues et vous, vous en pensez quoi …
« dis-moi Fanny tes filles elles te ressemblent ou pas »
« J’avoue modestement, je crois bien que oui “, frémit la mère rougissante
« ben tu vois là t’es pas si con finalement. Bravo pour cet éclair de lucidité Fanny y’a vraiment des cas, où en avoir faudrait mieux pas… »
Merde elle entend son mari filer sous la douche…il est 6h45…elle va être en retard…elle reprendra l’inventaire plus tard. Elle se précipite dans la cuisine, ouvre les placards, les tiroirs, frénétiquement, violemment mais il est où putain ?…
Ça fait chier nom de dieu, c’est le bordel dans cette taule. L’acouphène se remet à gueuler, et le chat à miauler…La déflagration… Bienvenue au concert des demeurés emmurés. Des frissons lui cisaillent le dos, elle va s’évanouir…Enfin, il est là ce satané couteau, sa lame effilé l’éblouit. Encore un coup de son mari. C’est probablement lui qui l’a soigneusement planqué. Elle se souvient maintenant, au cours d’un dîner, il lui avait saisi des mains en disant qu’il l’aimait pas ce couteau. “vicieux, acéré,” avait-il précisé. “Et en plus Samuelle parfois tu es si précipitée, impatiente…” Il a dû flipper, à l’idée qu’elle s’en serve. La peur n’évite pas le danger.
« Qu’est-ce que tu fous il est 7 heures, t’as toujours pas déjeuné ? Tu vas être encore en retard Sam, magne toi le cul …ça va mal finir c’t’histoire, tu vas te faire virer. Et puis de mon côté, je me suis grouillé pour te filer la douche, t’abuse merde… »
Les mains dans le dos, Samuelle serre les dents et fort le couteau. Il ne doit s’apercevoir de rien, elle veut pas l’inquiéter, elle veut son bien. Elle a peur qu’il devine, il sait la noirceur celle des yeux reflet du coeur. Elle l’aime tellement c’est con comme elle l’aime. C’est beau comme elle l’aime.
Le sang commence à couler entre ses doigts, ça lui fait l’effet de glaçons, ça brûle c’est si froid.
« putain Sam c’est quoi ça, putain Sam bordel de dieu tu saignes… »
Sam murmure avant de s’écrouler « t’en fais pas mon amoureux, ça va aller. Surtout sois pas triste baby, c’est pas une fausse couche promis ! »